L’énergie au cœur de l’histoire humaine

Les progrès de l’humanité : des outils et de l’énergie

            Avec 68 millions d'habitants représentant 1 % de la population planétaire, la France consomme de l'ordre de 2,5 % de l'approvisionnement énergétique mondial et importe près de la moitié de ses besoins énergétiques. Les conflits du XXe siècle ont profondément souligné sa fragilité. Les deux guerres mondiales furent marquées par un rôle décisif de l'État dans la gestion de l'énergie, avec de grandes nationalisations au lendemain de la Libération. Le premier choc pétrolier de 1973 a conduit le pays à se lancer dans un grand programme électronucléaire afin d'assurer son indépendance énergétique.

            Pour comprendre notre appétence pour les énergies de toutes sortes, il faut nous rappeler que la maîtrise de l’énergie est l’essence même de l’humanité, bien plus que la fabrication et l’utilisation d’outils.

Tous les progrès matériels de l’espèce humaine depuis l’aube des temps sont venus de sa capacité à transformer et mettre à son service l’énergie primaire disponible dans son environnement (soleil, vent, eau, etc.). De la sorte, nous en sommes arrivés à démultiplier dans des proportions phénoménales les réserves d’énergie qui nous ont été octroyées par dame Nature.

En comparaison, la combustion d’un litre d’essence donne 10 kWh d’énergie thermique et, après conversion dans un moteur, 2 à 4 kWh d’énergie mécanique, autrement dit l’équivalent d’une dizaine de journées de travail humain. Grâce à quoi notre productivité est jusqu'à cent fois supérieure à ce qu'elle était sous l'Antiquité ...

Le feu, indissociable de notre humanité

            Beaucoup d’espèces animales en-dehors de l’homme utilisent des outils mais aucune n’a jamais maîtrisé le feu comme le font les hommes depuis plus de 400.000 ans. Cette innovation radicale a permis à nos très lointains ancêtres de consommer des aliments cuits et en particulier de la viande. La viande, qu’est-ce ? Rien d’autre que de l’énergie primaire sous forme de végétaux que des animaux ont convertie en énergie et en nutriments plus immédiatement assimilables par notre organisme.

En facilitant son ingestion et sa consommation, la cuisson par le feu a entraîné une grande économie d’énergie chez les individus du genre Homo duquel dérive notre espèce Sapiens et quelques autres aujourd’hui disparues.  Ainsi leur cerveau, très gourmand en énergie, a-t-il pu continuer de croître en volume cependant que leur denture et leur système digestif ont pu diminuer en taille.

Le feu est en beaucoup d’endroits mis à profit pour défricher des pans de forêt et cultiver pendant quelques années des tubercules et des céréales dans cet espace fertilisé par les cendres. Une fois le sol épuisé, on va voir ailleurs. Cette agriculture sur brûlis, qui requiert de vastes espaces, est encore pratiquée dans les régions équatoriales (Afrique, Insulinde). Au Ghana et en Côte d’Ivoire, les paysans, faute d’avoir appris d’autres méthodes, l’appliquent à la culture du cacao, au prix d’un déboisement accéléré de leur pays.

Les outils au service de la croissance

            La culture des céréales nécessite de pouvoir stocker les graines à l’abri en attendant de les semer. Certains y réussissent mieux que d’autres et il s’ensuit des différentiations sociales, des rivalités entre les clans… et une montée des conflits dès le VIe millénaire avant notre ère.

Les céréales se sont prêtées à la formation des premiers États, que ce soit le blé, l’orge, le maïs, le millet, le riz ou le quinoa. Contrairement aux légumineuses et aux tubercules, elles peuvent se stocker, se transporter et donc servir de base à l’impôt, pour financer une classe dirigeante, avec ses administrateurs et ses soldats ! C’est ce que l’on observe en Égypte, en Chine, en Mésopotamie ou encore en Amérique centrale.

La pression démographique et la pression fiscale suscitent le besoin d’accroître les productions. Quand celles-ci sont limitées par le manque de main-d’œuvre, les États y remédient par la capture d’esclaves. En conséquence, durant les premiers millénaires de l’Antiquité, la guerre ne visait pas tant la conquête des territoires que la soumission de nouvelles populations.

            Quand le recours aux travailleurs forcés et aux esclaves atteint ses limites et que la terre commence à se faire rare, les hommes se tournent vers l’innovation technique, cela en vue d’améliorer le rendement des récoltes.

L’Égypte et la Mésopotamie développent très tôt des systèmes d’irrigation savants et mettent au point des norias destinées à puiser l’eau dans les canaux et le fleuve ; c’est autant d’énergie humaine économisée. En Gaule, l’archéologie atteste de nombreuses innovations dès avant la conquête romaine : outils métalliques, barriques, moissonneuse, etc.

La Chine des Han (221 av. J.-C. à 221) témoigne d’une inventivité exceptionnelle : semoirs à graines, harnais à collier pour les chevaux, charrues lourdes avec versoir en fonte. Pour la production de métal, elle commence même à exploiter le charbon de terre (houille), d’un meilleur rendement énergétique que le charbon de bois.

L’empire romain, à son apogée, fonde quant à lui sa prospérité sur les guerres de conquête qui lui apportent des richesses et des esclaves à profusion. Dans ces conditions, avec une main-d’œuvre aussi bon marché, pas besoin de se torturer l’esprit pour économiser le travail.

Esclaves dans la Rome antique (mosaïque romaine)

            Tout change avec l’Antiquité tardive (IIIe et IVe siècles) : l’empire demeure assez riche et puissant pour entretenir une armée de 600.000 hommes mais il n’y a plus de conquêtes et pour ne rien arranger, la natalité décline fortement. Faute d’esclaves, les grands propriétaires s’efforcent par différents moyens d’attacher les paysans à leur terre. C’est le colonat, lointain prélude au servage médiéval.

Et puis, plus sûrement, chacun active son intelligence pour pallier le manque de main-d’œuvre. Les IIIe-IVe siècle sont à l'origine de nombreuses inventions : le vêtement cousu, dérivé des braies gauloises, le livre relié, le moulin à eau et le moulin à vent, etc.

La situation se corse aux siècles suivants sous l’effet des grandes invasions. Le niveau de vie chute brutalement dans l’empire. Il en va de même en Chine, tant du fait des invasions que des séditions dont la plus connue est celle d’An Lushan.

            L’An Mil marque un renouveau aux deux extrémités de l’Eurasie, en partie grâce à un léger réchauffement climatique, l’« Optimum médiéval ». Sous la dynastie Song, la civilisation chinoise brille de tous ses feux. Elle est même en passe de réussir sa révolution industrielle et ses ateliers sidérurgiques peinent à répondre à la demande de fonte, plusieurs centaines de milliers de tonnes par an ! Las, tout s’effondre avec l’irruption de Gengis Khan et de ses fils, des redoutables Mongols.

Rien de tel dans la chrétienté européenne. Dans les trois siècles qui suivent l’An Mil, la population va pratiquement tripler grâce au redoux climatique et surtout à la consolidation des sociétés et à l’amélioration des techniques. Elle n’aura à connaître ni invasion ni migration de masse ni esclavage et ce privilège insigne va se prolonger pendant tout le millénaire.

Il s’ensuit que, génération après génération, les coutumes prendront force de loi et établiront une société de confiance propice à l’entreprenariat. En l’absence de main-d’œuvre servile venue d’outre-mer, les innovations se multiplient dans l’agriculture comme dans l’industrie… et l’art militaire.

L’étrier, emprunté aux barbares Avars au VIIIe siècle, va offrir aux cavaliers une très grande stabilité et leur permettre de déployer toute leur énergie, bien campés sur leur monture. Au combat, sous leur armure, ils feront l’effet d’un véritable char d’assaut ! Ce sera l’âge d’or de la chevalerie, élite guerrière dont l’Église et le souverain veilleront à canaliser les ardeurs.

Grâce à des engins de levage comme la « cage à écureuil », on arrive à lever des pierres à plusieurs dizaines de mètres de hauteur, ce qui autorise la construction de cathédrales vertigineuses.

Construction d'une cathédrale avec, en haut, une cage à écureuil (enluminure de Jean Fouquet, vers 1470-1475, BnF, Paris)

            Mais le changement le plus visible concerne sans aucun doute le monde rural. Pas un pouce de terre qui ne soit remodelé par l’homme. On défriche les forêts, on plante des haies, on assèche les marais, on conçoit en bord de mer d’ingénieux marais salants qui utilisent directement l’énergie solaire pour extraire le sel de l’eau de mer alors qu’en d’autres régions du monde, on continue encore aujourd’hui de faire bouillir cette eau à grand renfort de bois.

Par-dessus tout, on domestique les eaux vives des torrents et des rivières. Pas un cours d’eau, pas une chute qui ne soit équipé d’une roue à aubes, autrement dit d’un moulin à eau avec roue verticale. L’énergie communiquée par le courant fait tourner la roue et son arbre. Celui-ci peut actionner une pierre à meuler pour moudre le grain et le transformer en farine. Associé à un arbre à cames, il permet aussi d’actionner un pilon, pour fouler la laine ou encore pour écrouir le métal dans une forge.

            Les Européens de cette époque font feu de tout bois, si l’on ose dire. Ainsi aménagent-ils des moulins à marée dans les estuaires. Et les croisades leur ayant permis de découvrir les moulins à vent, une invention sans doute iranienne, ils les adoptent sans attendre. Toutes les collines en sont bientôt couvertes.

On peut évaluer à l’équivalent d’une ou deux tranches nucléaires la puissance fournie par ces dizaines de milliers de moulin à eau ou à vent. Et jusqu’à la fin du XIXe siècle, ces formes d’énergie vont continuer de se développer en Europe et dans le Nouveau Monde. Il n’est que de songer aux six millions d’éoliennes rustiques qui ont permis d’arroser les plaines du Middle West américain.

Paysage avec des moulins à vent (début du XVIIe siècle, Jan Brueghel l'Ancien, musée de Varsovie)

            Au milieu du XIVe siècle, la chrétienté médiévale est déjà un « monde plein » avec, même, dans beaucoup de terroirs, une densité de population supérieure à ce qu’elle est aujourd’hui. La saturation de l’espace et la vitalité des communications font que l’épidémie de peste se répand très vite, en quelques semaines, sitôt après que le bacille a débarqué à Marseille.

Dans le même temps, le climat se refroidit. On entre pour quatre siècles dans le « Petit Âge glaciaire » ! Les récoltes se faisant moins abondantes, les riverains de l’Atlantique et de la mer du Nord prennent la mer pour aller pêcher la morue et le hareng au large de Terre-Neuve, dans les gigantesques bancs de poissons descendus de l’océan Arctique, lui-même devenu trop froid.

Poussés par la nécessité, pêcheurs et armateurs du Portugal, de Biscaye, de Normandie, de Flandre, etc. améliorent les techniques de navigation hauturière (en haute mer).  Ils adoptent la boussole et le sextant, apprennent à maîtriser le vent dans les voiles… Les voilà bientôt prêts pour partir à la découverte du vaste monde, d’abord le long des côtes africaines, puis à travers l’océan Indien et l’océan Atlantique.

À la même époque, en 1405, l’empereur de Chine arme une flotte énorme sous la conduite de l’amiral Zheng He en vue d’explorer l’océan Indien et d’obtenir la soumission ou l’alliance de ses souverains. Cette « Flotte des Trésors » va mener à bien la mission avant d’être mise au rebut en 1433. C’est que le bien-nommé Empire du Milieu se satisfait plutôt bien de ses abondantes ressources et n’a que faire d’aventures ultramarines…

Rien de tel pour nos marins portugais, basques ou normands. Pauvres et ne bénéficiant que d’un soutien à éclipses de leur souverain, ils se lancent avec hargne et furie sur la route des épices. Ils font commerce de tout et notamment des esclaves.

Ca tombe bien car ils souhaitent exploiter les mines et les terres du Nouveau Monde et manquent pour cela de main-d’œuvre, l’Amérique ayant été dépeuplée par la variole qu’ont introduite à leur insu les marins de Christophe Colomb. Les colons vont pouvoir cultiver le tabac et surtout le sucre au prix de la sueur et du sang africains, sans que quiconque s’en émeuve en Europe, à l’exception de quelques grands esprits, et sans qu’eux-mêmes se donnent la peine, comme en Europe, d’améliorer leurs techniques et leurs outils de façon à économiser l’énergie humaine.

Effet rebond : un progrès technique relance l’esclavage

            Au début du XIXe siècle, l’esclavage semblait voué à disparaître en Amérique du fait de la vigueur du mouvement abolitionniste et aussi de la concurrence du sucre de canne, principale production esclavagiste, par le sucre de betterave. Contre toute attente, il va être relancé aux États-Unis grâce à une invention qui a rendu le coton américain plus concurrentiel que le coton produit en Égypte et en Orient. En 1793, un mécanicien, Eli Whitney, met au point une égreneuse à coton grâce à laquelle les planteurs du Sud vont pouvoir mécaniser le travail par lequel on sépare le coton proprement dit de sa tige. Ce travail nécessitait jusque-là une grande quantité de main-d’œuvre servile et nuisait à la rentabilité de la production cotonnière. Là-dessus, la fin des guerres napoléoniennes ramène la prospérité en Europe et entraîne une rapide croissance de la demande de tissus en coton. Du coup, le coton remplace bientôt le tabac comme principale source de richesse au sud des États-Unis. Mais par un « effet rebond » spectaculaire, l'accroissement de la production en vient à exiger beaucoup plus de main-d’œuvre servile que l'égreneuse d'Eli Whitney ne permet d'en économiser ! Il s'ensuit une intensification de la traite d'esclaves en provenance d'Afrique et la « funeste institution » s'en trouve renforcée.

La « grande divergence »

            Au début du XVIe siècle, l’humanité ne fait plus qu’une, grâce aux marins espagnols et portugais, Colomb, Vasco de Gama, Magellan, etc. Il ne manque à la grande famille humaine que les habitants de l’Australasie, encore ignorés du reste des hommes…

En matière de développement économique, scientifique et technique, cette humanité apparaît singulièrement homogène. En 1526, à Mohacs et Panipat, des batailles mettent aux prises Hongrois et Ottomans d’un côté, Turco-Mongols et Indo-Iraniens de l’autre.  Les uns et les autres disposent d’une artillerie aussi performante que celle des Français ou des Anglais à la même époque. En Chine comme en Inde, le niveau de vie des populations n’a rien à envier à celui des Européens.

Deux régions font exception : le Sud-Est asiatique et l’Europe occidentale. L’une et l’autre sont divisées en de nombreux royaumes rivaux. Si le Sud-Est asiatique n’a pas connu le destin exceptionnel de l’Europe occidentale, c’est qu’à la différence de celle-ci, il a été largement exposé à toutes les influences extérieures.

Les rivalités entre les États furent source d’émulation féconde. Quand le Portugal puis l’Espagne usèrent leur énergie sur les océans, la Hollande et l’Angleterre prirent le relais avec le succès que l’on sait. Dans un registre plus aimable, les multiples principautés allemandes issues des traités de Westphalie rivalisèrent dans les arts faute de pouvoir se faire la guerre et c’est ainsi que nous eûmes Bach, Mozart, Goethe, Schiller, Beethoven et bien d’autres !

Il s’ensuit que dès le début du XVIIe siècle, une divergence s’amorce entre l’Europe occidentale et le reste du monde. En 1601, quand le Jésuite Matteo Ricci se présente à la cour de Pékin, il est accueilli à bras ouverts, pas pour ses sermons sur l’Évangile mais pour ses connaissances en astronomie et mathématiques ainsi que pour les merveilles qu’il offre à l’empereur : un clavecin, une mappemonde et deux horloges à sonnerie.

Tout est en place pour la révolution industrielle. Elle va changer le monde aussi complètement que la révolution néolithique et bien plus vite que celle-ci. Mais cette révolution aura un prix comme la précédente : fondée sur l’exploitation à outrance des énergies fossiles, elle va entraîner des dommages environnementaux et un changement climatique dont nous commençons à peine à prendre la mesure

L’Europe en marche vers la révolution industrielle

            Le développement des échanges en Europe et au-delà va de pair avec celui des activités manufacturières.

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, dans les ateliers et les usines, les machines fonctionnent très majoritairement grâce à la force hydraulique et à celle du vent. C’est par centaines de milliers que se comptent en Europe les moulins à eau et les moulins à vent.  Aujourd’hui encore, tous nos cours d’eau sont bordés d’ateliers généralement en ruine qui attestent de cette vénérable activité.

Les besoins de chauffage s’accroissent aussi, tant dans les foyers domestiques que dans les ateliers (métallurgie, textile, verrerie, etc.). Aussi, dès les XVIe et XVIIe siècles, Anglais et Hollandais commencent à connaître des pénuries de bois et doivent en importer de la Baltique.

En Hollande, la tourbe, présente en abondance, apporte un utile complément mais elle s’avère polluante et d’un faible rendement calorique. En Angleterre, on se rabat sur le charbon de terre, également très polluant mais d’un excellent rendement calorique. Son extraction, dans des conditions très rudes, passe de 2 millions de tonnes en 1600 à 3 millions en 1700 et 10 millions de tonnes en 1800.

            Et voilà le miracle qui va changer le cours de l’Histoire : des savants et des techniciens vont trouver moyen de convertir une énergie fossile, le charbon en l’occurrence, en énergie mécanique et non plus seulement thermique !

Cela commence avec un Français, Denis Papin (1647‑1713), un protestant natif de Blois qui quitta la France suite à la révocation de l’édit de Nantes en 1685 et finit sa vie à Londres. Passionné de physique, il invente le premier ensemble cylindre-piston fonctionnant à la vapeur. Il ne s’agit de rien moins que de la première machine à vapeur. Denis Papin a immédiatement eu conscience du caractère révolutionnaire de son invention mais n’a pas su la promouvoir.

Là-dessus, un pasteur et mécanicien anglais du Devonshire réfléchit aux mines de la région, régulièrement inondées. Sur le principe du cylindre-piston, il met au point en 1712 une machine destinée à pomper l’eau.  Une chaudière chauffée au charbon comme il se doit produit de la vapeur qui chasse un piston vers le haut. Puis, la vapeur est refroidie par pulvérisation d’eau froide et, en se liquéfiant, fait redescendre le piston. Ce va-et-vient actionne un balancier à l’extrémité duquel une chaîne remonte l’eau du puits.

Malgré un rendement très médiocre, la machine démontre qu’il est possible de convertir de l’énergie fossile en mouvement mécanique. Il appartiendra à l’ingénieur écossais James Watt d’améliorer son rendement en ajoutant à la machine une chambre de condensation séparée.

            À partir de là, les choses s’enchaînent très vite. Fonctionnant au charbon, les machines à vapeur permettent dans un premier temps d’extraire encore plus de charbon en pompant l’eau dans des mines de plus en plus profondes ! Puis, dès 1800, apparaissent des machines à vapeur qui actionnent une roue et permettent de filer le coton.

Ces machines étant trop volumineuses pour être embarquées, l’ingénieur anglais Richard Trevithick a l’idée d’une chaudière à vapeur sous pression plus compacte, grâce à quoi il peut lancer en 1804 la première locomotive. Un siècle plus tard, on comptera 250.000 kilomètres de voies ferrées en Europe et presque autant en Amérique du nord où, dès 1869, une voie ferrée relie l’Est à l’Ouest des États-Unis ! Mais bien plus que le « cheval-vapeur », mesure de puissance préconisée par James Watt, c’est le cheval qui reste le moyen de transport privilégié à la campagne et plus encore à la ville.

La gare Saint-Lazare, arrivée d’un train (1877, Claude Monet 1840-1926, Fogg Art museum, Harvard)

            Tant dans l’industrie que dans les transports, le charbon va s’imposer au cours du XIXe siècle comme l’énergie reine. Il va en premier lieu asseoir la suprématie mondiale de l’industrie cotonnière anglaise. Importatrice de cotonnades indiennes au XVIIe siècle, l’Angleterre prend des mesures protectionnistes dès 1717 pour favoriser ses propres industriels. Puis, un siècle plus tard, forte de l’avantage concurrentiel apporté par la mécanisation de ses usines, elle ruine sans rémission l’industrie textile indienne, jusque-là très en avance sur le reste du monde.

Le charbon était-il indispensable à l’industrialisation de l’Angleterre et de l’Europe ? Les industriels ont privilégié le recours au charbon de préférence aux moulins à eau. Ces derniers imposaient d’aménager les usines là où était la source d’énergie. Tandis que le charbon, aisément transportable, laissait aux industriels le libre choix de l’implantation de leurs usines, de préférence dans les agglomérations riches en main-d’œuvre à bas coût.

Le charbon représente encore en 2023 plus de 25% de l’énergie primaire consommée dans le monde derrière le pétrole et avant le gaz, avec un total de 3,5 milliards de tonnes. S’il n’est plus guère utilisé pour faire rouler les trains ou actionner des machines, il sert à produire de l’électricité, essentiellement en Chine et en Inde mais aussi en Pologne, en Allemagne et même en France (7 MT en 2023) où, suite à la guerre d’Ukraine, on a rouvert en catastrophe deux centrales à charbon à Cordemais (Loire-Atlantique) et Saint-Avold (Moselle).

            En 1859, une deuxième énergie fossile entre en scène avec le forage en Pennsylvanie d’un premier puits de pétrole par Edwin Drake. Comme le charbon, le pétrole était connu et déjà utilisé sous l’Antiquité, quoiqu’en quantité très faible. Sa redécouverte aux États-Unis survient à point nommé, à un moment où les besoins d'éclairage n'arrivent plus à être satisfaits avec les bougies traditionnelles et les lampes à huile (de baleine !). Le pétrole va donc révolutionner la vie quotidienne ! Il va aussi faire la fortune des raffineurs et du principal d’entre eux, John Davison Rockefeller, dont le nom va devenir synonyme de celui de Crésus.

Le meilleur reste à venir. Des ingénieurs songent à convertir le pétrole en énergie mécanique pour faire avancer des véhicules plus légers que les trains. L’Allemand Gottlieb Daimler conçoit en 1883 un moteur à combustion et en 1892, son compatriote Rudolf Diesel optimise ledit moteur avec un système d’allumage plus performant. Il espère, grâce à ses moteurs de petite taille et accessibles à tous, ouvrir la voie à une société fraternelle constituée de petites entreprises autonomes.

Au lieu de cela, très vite, l’industrie automobile devient le lieu d’une concurrence exacerbée qui voit le triomphe d’Henry Ford en 1908 avec le lancement de la première voiture fabriquée à la chaîne. Dans le même temps, les frères Wright utilisent un moteur à combustion pour faire voler en 1903 leurs premiers avions. C’est là aussi le démarrage d’une activité promise à un prodigieux avenir.

Un nouveau cap a été franchi en 1911, à Londres, quand le Premier Lord de l’Amirauté, un certain Winston Churchill, renonce au charbon et convertit les navires de la Royal Navy au pétrole pour augmenter leur vitesse et leur autonomie. Dans la foulée, il préconise une implantation britannique dans le Golfe Persique en vue de garantir l’approvisionnement en pétrole ! Celui-ci est devenu un élément stratégique vital pour toutes les grandes puissances, ce qu'il est encore aujourd'hui. Il en va de même du gaz naturel, un autre hydrocarbure utilisé principalement pour le chauffage et la production d’électricité.

L’électricité est une énergie secondaire produite à partir de l’une ou l’autre des énergies primaires. Elle a l’avantage d’être facilement transportable et de pouvoir être convertie à moindre coût en énergie mécanique ou en chaleur. Son inconvénient est de ne pouvoir être stockée sauf à passer par un convertisseur (batterie ou pile à hydrogène).

La découverte et la mise en œuvre de l’électricité sont l’œuvre d’une pléiade de grands savants et inventeurs géniaux du XIXe siècle, d’Alessandro Volta, André-Marie Ampère et Michael Faraday à Thomas Edison et Nikola Tesla.

En 1879, Edison met au point l’ampoule électrique qui va très vite remplacer les lampes à huile. Un premier train électrique est réalisé en 1881 en Allemagne. Le moteur électrique est appliqué aussi au métro de Londres en 1887 avant d’équiper les trolleybus. Les premières automobiles sont aussi mues à l’électricité avant que les adeptes du moteur à combustion n’y mettent le hola.

Mais au XXe siècle, l’électricité va s’imposer par son caractère pratique dans la mécanisation et la robotisation des usines et des bureaux ainsi que l’équipement des foyers domestiques en appareils électro-ménagers. Dans la deuxième moitié du siècle, la maîtrise de l’atome va offrir de nouvelles opportunités de satisfaire l’explosion des besoins.

Effet rebond ou « paradoxe de Jevons »

            Comme l’énergie demeure accessible à bas prix, toutes les améliorations de rendement se soldent par une extension des usages ! Ce phénomène a été mis en évidence par l’économiste William Jevons à propos des usages du charbon en 1865 (The Coal Question. An inquiry concerning the progress of the Nation, and the probable exhaustion of our coal-mines). Il montre que le fait de rendre les machines plus économes en énergie n'amène pas une baisse de la consommation globale de combustible, car les machines devenant plus productives, elles produisent à moindre coût et suscitent une demande accrue de leurs produits de sorte que l'on est conduit à utiliser davantage de machines.

Ce fameux paradoxe appelé « effet rebond » a déjà été illustré ainsi que nous l'avons montré par l'égreneuse à coton de Whitney. Il se vérifie aujourd'hui plus que jamais. Ainsi, quand les ingénieurs réduisent de moitié la consommation d’essence par kilomètre, les automobilistes ont le choix soit de couvrir la même distance avec deux fois moins d’argent, soit de parcourir deux fois plus de kilomètres avec autant d’argent ou de se tourner vers de plus gros véhicules à consommation constante. L'expérience montre que c’est la deuxième option qui a leur faveur. Le paradoxe de Jevons s’observe encore avec les ampoules LED (diodes électroluminescentes), réputées durables et à basse consommation. Elles ont entraîné depuis le début du XXIe siècle une multiplication par deux ou davantage des éclairages : allées de jardins, vitrines, façades, etc. On assiste par ailleurs à la multiplication des écrans vidéo publicitaires dans l’espace public, les couloirs du métro et les vitrines de magasins, etc.          

Énergie : toujours plus !

            De la Seconde Guerre mondiale à nos jours, la consommation d’énergie primaire a été multipliée par 6, bien plus vite que la population des pays industrialisés en situation d'y avoir accès. Cette consommation a été stimulée par les coûts d’extraction très faibles des énergies fossiles ainsi que par une fiscalité très indulgente et le soutien actif des autorités.

En témoigne la détaxation du kérosène qui alimente les avions par la convention de Chicago, en 1945, afin d'encourager les vols commerciaux et d'offrir un débouché alternatif aux constructeurs aéronautiques menacés de devoir réduire leur activité suite à la victoire sur le nazisme.

Dans le domaine des transports terrestres, l'automobile pour tous, associée à la maison de banlieue, va symboliser le rêve américain. Les constructeurs automobiles et les pétroliers, en cheville avec les pouvoirs publics, s'activent dans ce sens. Ainsi rachètent-ils les compagnies de tramways, florissantes entre les deux guerres, et les laissent dépérir avant de les fermer.

La diffusion de l’american way of life (le « mode de vie étasunien ») a conduit au tout-automobile et à l’avion pour tous, avec près de 100 millions de voitures produites chaque année et un milliard de véhicules de tous ordres en circulation sur la terre, dans les airs et dans les mers. L’une des conséquences en a été la suburbanisation, avec l’éclatement des villes anciennes, l'extension à l'infini des banlieues, l’artificialisation accélérée des sols et l'allongement des temps de transport.

Dès lors, notre consommation d'énergie s’est proprement emballée jusqu’à atteindre 14.200 Mtep (millions de tonnes d’équivalent-pétrole) en 2024, dont 80% d’énergies fossiles. Celles-ci décroissent légèrement en pourcentage mais continuent de croître en valeur absolue.

La numérisation de la société et l’explosion des services en ligne (5G, « clouds », Intelligence artificielle, etc.) promettent une nouvelle poussée de la demande d’énergie. Autant dire que la « transition énergétique » n’est pas faite.

Les grandes étapes énergétiques de la France industrielle

Moyen Âge : l’eau, le vent, le bois

.            Jusqu'au Moyen Âge, la force musculaire de l'homme et de l'animal constitue la source principale de l'énergie. Plus tard, les monastères jouent un rôle important dans l'utilisation de l'énergie hydraulique : un moulin à eau vaut alors le travail de cent hommes. Au XIIe siècle, les Croisés revenus du Proche-Orient introduisent le moulin à vent dans les pays côtiers d'Europe (l'Italie, la France, puis l'Espagne et le Portugal). Cette technologie bon marché sert à moudre du grain et du blé, et sera essentielle dans le développement des récoltes à grande échelle. Mais l'énergie de base reste le bois, facile à transporter et principalement utilisé pour le chauffage.

XVIIIe siècle : les prémices de la révolution industrielle

 .            Tandis qu’une grave pénurie de bois en Europe a déjà lancé l’Angleterre dans sa révolution industrielle par une utilisation du couple charbon/vapeur, la France en est toujours à la prospection.

Le XVIIIe siècle sera marqué par la découverte des premières mines de charbon dans le nord de la France et la Lorraine et du tout premier gisement de pétrole : Pechelbronn, en Alsace.

1827 : les débuts du chemin de fer

.            Le premier chemin de fer français est inauguré entre Saint-Étienne et Andrézieux pour transporter la houille entre la mine et le port d'embarquement sur la Loire. Pourtant, en ce début du XIXe siècle, les industriels traditionalistes sont encore réticents à utiliser le charbon comme combustible.

1850-1900 : l’essor de la production charbonnière

.            Il faut attendre les effets combinés d’un développement rapide des chemins de fer et de la navigation à vapeur et de la découverte de nouvelles mines dans le Pas-de-Calais et en Lorraine, pour donner au charbon une véritable impulsion. La production passe de 12 millions de tonnes (Mt) pour une consommation de 18 Mt en 1865 à une production de 40 Mt pour une consommation de 63 Mt en 1913.

1881 : un hommage à l’électricité

.            Le Palais de l'Industrie de Paris accueille la première exposition internationale d'électricité. Le public peut y admirer des innovations telles que la dynamo, l'ampoule électrique, le tramway électrique. L'électricité s'installe progressivement dans le paysage français, d'abord pour des usages de communication (télégraphe électrique), puis pour l'éclairage et les moteurs.

Guerre de 1914-1918 : le pétrole, nerf de la guerre

.            Jusqu’au début du XXe siècle, la France s’accommode très bien de sa dépendance totale en pétrole à l’égard des pays étrangers. Mais la guerre de 14-18 demande l’utilisation massive de moyens de transport à moteur, développés à la fin du XIXe siècle, comme les camions automobiles, l’aviation et l’artillerie de campagne par tracteurs. La France n’ayant pas de pétrole, l’Angleterre pas assez, George Clemenceau est contraint de pousser un cri d’alarme à ses alliés américains en 1917 : « Le pétrole est aussi nécessaire que le sang dans les batailles de demain. » L’utilisation de l’énergie prend alors une dimension politique.

Après-guerre : l’arrivée de l’État dans la gestion de l’énergie

.            Quand bien même la France récupère au traité de San Remo de 1920 la part allemande des pétroles d'Irak, elle connait le début d’une grande préoccupation d’indépendance énergétique, traduite par l'arrivée de l’État dans la gestion de l’énergie, dominée jusque-là par les entrepreneurs. En 1924, est créée la Compagnie Française des Pétroles dont l’objectif premier est de constituer des stocks stratégiques. La loi du 30 mars 1928 est l’une des premières lois sur l’énergie en France. Elle donne un monopole à l’État pour décider de la quantité de pétrole importée en France, des raffineries qui le traitent, de la répartition des carburants sur le territoire national en fonction des besoins, et surtout, fixe ses prix par décret. Cette loi institue en réalité un régime de monopole délégué en disposant que toute entreprise désirant importer du pétrole brut devait bénéficier d'une autorisation préalable octroyée par décret pris en Conseil des ministres après avis du Conseil d'État.

1939 : le nucléaire, enjeu de défense nationale

.            Le physicien et chimiste français, Frédéric Joliot-Curie, découvre le principe des réactions en chaîne et ses possibles applications dans l’armement. C’est le début d’une course scientifico-militaire en pleine période de guerre. Edouard Daladier, alors président du Conseil des Ministres et ministre de la Défense, décide de protéger ces découvertes sous le sceau secret-défense, mettant le scientifique et sa petite équipe sous l’autorité du ministère de l’Armement. En mai-juin 1940, l’Allemagne envahit la France. Joliot-Curie envoie ses collaborateurs juifs s’exiler en Angleterre avec documents et brevets sous le bras.

18 octobre 1945 : la création du CEA

.            Durant la Seconde Guerre mondiale, les scientifiques français expatriés à Montréal entendent parler du projet Manhattan, vaste programme de recherche mené par les États-Unis avec la participation du Royaume-Uni et du Canada pour produire la première bombe atomique. Au lendemain de la Libération, ils convainquent le général de Gaulle de créer le Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA). Son rôle est de conduire « les recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie atomique dans divers domaines de la science, de l’industrie et de la défense nationale ».

8 avril 1946 : la naissance le même jour d’EDF et de GDF

.            La nationalisation d’entreprises de production, de transport et de distribution d’énergie électrique fait naître la société Electricité de France (EDF) dans un consensus politique rare. EDF devient la structure principale pour investir dans la reconstruction du pays, moteur du développement industriel. Commencé avant-guerre, le développement de l’hydroélectricité (construction de barrages et extension des lignes électriques) et des centrales thermiques au charbon est accéléré. Le même jour naît la société Gaz de France (GDF), spécialisée dans la distribution et l'exploitation du gaz naturel.

17 mai 1946 : la nationalisation de l’industrie charbonnière

.            La guerre et l'occupation allemande auront profondément ralenti le rythme de la production charbonnière en France. Les occupants exploitent les mines françaises sans le souci de leur entretien et finissent par inonder des puits et détruire une bonne partie des installations. Influencé par le programme du Conseil national de la Résistance, l’État nationalise l’industrie charbonnière et crée l’entreprise Charbonnages de France. Dans un pays à reconstruire et dont les infrastructures (train à vapeur, chauffage) sont encore largement dépendantes du charbon, l’État se lance dans une grande modernisation des installations minières, qu’il mécanise, soutenu par le Parti Communiste et le syndicat CGT.

1956 : les recherches secrètes sur l’arme nucléaire

.            Pierre Mendès France considère que la France doit avoir l’arme atomique, à l’instar de tous les autres pays membres de l’Onu. Il lance alors en catimini un programme de recherche sur la fabrication de la bombe atomique comme arme de dissuasion. C'est sur le site de Marcoule que furent construits, en secret, les premiers réacteurs nucléaires à usage militaire, qui produiront leur premier gramme de plutonium, le 21 juillet 1956. L’usage civil en découle et EDF construit en 1963 sa première centrale nucléaire à Chinon.

1957 : l’exploitation du gaz français

.            Après la découverte d’un gisement à Lacq dans les Pyrénées-Atlantiques par la Société Nationale des Pétroles d'Aquitaine (l'ancêtre de la société Elf Aquitaine), la France commence à exploiter son gaz naturel en 1957.

1960 : le Plan Jeanneney et le déclin du charbon

.            La relance du charbon d’après-guerre sera de courte durée. La part du charbon dans les besoins énergétiques diminue de près de 50 % avec la montée en puissance du pétrole bon marché qui s'installe dans les consommations. Le pays se lance dans de grands achats de gaz auprès des Pays-Bas, de la Norvège, de l’URSS et de l’Algérie. Jean-Marcel Jeanneney, alors ministre de l'Industrie, présente un plan d'assainissement visant à limiter la production charbonnière. L’État commence à fermer les sites déficitaires, aboutissant aux grandes grèves des mineurs et à des manifestations dans les rues de Paris en mars-avril 1963.

1965 - 1969 : le difficile débat du nucléaire civil

.            La France a vécu une série de traumatismes liés à sa dépendance pétrolière à l’égard des pays étrangers : l’embargo pétrolier qui a suivi le conflit du canal de Suez en 1956, et l’indépendance de l’Algérie – qui détient une grande réserve de pétrole dans le Sahara, en 1962. Ces coups durs la poussent progressivement vers l’énergie nucléaire, au point que les années 1965-1969 sont marquées par un grand débat public, âpre, voire violent, visant à choisir la future filière nucléaire française. Finalement, le pays abandonne sa filière à eau bouillante et adopte le modèle américain des réacteurs à eau pressurisée de Westinghouse, la filière la plus répandue dans le monde actuellement.

1969 : les recherches sur les énergies renouvelables

.            Toujours dans le but d’assurer son indépendance énergétique, la France mise sur la recherche d’énergies renouvelables. À la fin des années 70, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a déjà fait d’énormes progrès dans l’énergie solaire, la chimie des fours solaires et le photovoltaïque, au point d’avoir acquis une certaine avance sur ses voisins européens. Le four solaire d’Odeillo (Font-Romeu, Pyrénées Orientales) est mis en service en 1969. Sa puissance thermique est d'un mégawatt, et il concentre, avec son immense parabole (54m de haut et 48 de large, composée de 63 héliostats –miroirs-) près de 10.000 fois la puissance du soleil pour atteindre jusqu'à 3 300 °C. Mais les bons rendements se font toujours attendre.

1973 : le premier choc pétrolier

.            Un choc pétrolier, conséquence d’une pénurie de pétrole réelle, provoquée ou spéculative, se traduit par un déficit soudain de l'offre par rapport à la demande et donc par un renchérissement brutal du prix du pétrole qui provoque d'importantes perturbations économiques globales. En pleine guerre du Kippour, les 16 et 17 octobre 1973, les pays arabes membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), qui ont déjà commencé à récupérer la maîtrise de leurs ressources par une vague de nationalisations, annoncent un embargo sur les livraisons de pétrole contre les États « qui soutiennent Israël » et le quadruplement du prix du baril (159 l). Ce premier choc pétrolier finit de convaincre de la nécessité d’investir au profit d’une indépendance énergétique. Le monde affrontera ensuite deux autres chocs pétroliers, en 1979-1981 (révolution iranienne et guerre Irak-Iran suite à une agression irakienne) et en 2008 (spéculations intenses). De leur côté, les compagnies pétrolières investissent dans la recherche de gisements dans des endroits plus sûrs politiquement. Le pétrole français verra une éclaircie avec la découverte, par les groupes pétroliers français (Elf et Total) de gisements en mer du Nord, en Indonésie ou encore en Argentine.

1978-2000 : le nucléaire

La centrale nucléaire de Paluel (Seine-Maritime)

            Le second choc pétrolier a provoqué la multiplication du prix du pétrole brut par 2,7 en deux ans et demi. Après cette violente augmentation, le prix du pétrole repart à la baisse dès 1982.

            Le 6 mars 1974 Pierre Messmer, Premier ministre, annonce, face caméra, la construction de « 13 centrales nucléaires de 1.000 MW », donc 13.000 MW de capacité installée supplémentaire, soit la puissance totale d’EDF disponible en 1962 : aucun pays au monde, sauf les États-Unis, ne fait un effort comparable. L’industrie électronucléaire se structure entre plusieurs acteurs, les réacteurs sont de vrais succès économiques et mobilisent tous les moyens financiers et humains.

            Une vingtaine d’années plus tard, essentiellement sous la pression des écologistes anti-nucléaires, le 19 juin 1997, le Premier ministre Lionel Jospin annonce l'abandon de Superphénix. Puis à la fin de l'été 2019, le CEA annoncera l'abandon du projet ASTRID qui visait à construire un réacteur nucléaire à neutrons rapides (RNR) de 4ème génération. Ces deux prototypes de surgénérateurs abandonnés, la France, alors pionnière dans ce domaine, en laisse la suprématie aux russes, chinois et indiens !

            En matière d’énergie électrique, la France avait tous les atouts en main grâce à un parc nucléaire assurant une énergie abondante, propre et peu chère. En 1976, la dernière génération de réacteur à neutrons rapides (RNR – Superphénix), cent fois plus efficace et économe en uranium que les réacteurs dits classiques, est promise à un grand avenir puisqu’elle permettrait à terme l’utilisation de la quasi-totalité de l’uranium nécessaire à la production d’énergie, et donc la réduction à presque rien des déchets nucléaires, et la recherche sur la transmutation des anciens déchets pour leur réutilisation comme combustible sous forme d’uranium appauvri ? Selon les experts d’EDF, les stocks entreposés en France assureraient ainsi au moins deux millénaires de combustible pour l’ensemble des réacteurs.

Malheureusement, la basse politique va rebattre les cartes. En 1997, la dissolution de l’Assemblée nationale est décidée par le président de la République Jacques Chirac. La gauche coalisée, qui comprend les Verts, remporte les législatives qui suivent. Lionel Jospin entre à Matignon et nomme Dominique Voynet ministre de l’Environnement. Celle-ci déclare immédiatement, à propos de Superphénix : « Cette machine n’est vraiment adaptée ni à la production d’électricité en quantité ni à l’élimination des déchets nucléaires. Elle ne justifie donc pas les sommes considérables qu’on y a englouties. » La messe est dite : le 9 février 1998, le gouvernement Jospin signe l’arrêt de mort de Superphénix. Pour être certaine que ce projet ne sera jamais redémarré, la ministre verte, acharnée, fait percer des trous dans la cuve du réacteur.

La France, qui dominait la recherche dans ce domaine, prend alors un retard qu’elle ne comblera plus ; elle est désormais devancée par la Chine et la Russie. L’Inde progresse rapidement, profitant d’ailleurs de la compétence d’ingénieurs et de fournisseurs français, lesquels sont toutefois de moins en moins demandés dans les pays ayant décidé de lancer ou relancer le nucléaire civil.

2000-2008 : face à la mondialisation

.            Dans un monde globalisé, c’est le temps des grandes fusions. Après avoir absorbé la société belge Fina, Total fusionne avec sa soeur française Elf. La fusion des industries électronucléaires Framatome et Cogema crée Areva. Surtout, le pays parachève sa filière nucléaire par la création de ses propres agences de sûreté nucléaire, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Conscients que l’avenir ne pourra se faire sans un apport substantiel du nucléaire, 35 pays s’associent dans le gigantesque projet ITER, la construction à Saint-Paul-lès-Durance (Bouches-du-Rhône, France) d’un réacteur thermonucléaire expérimental. Objectif : démontrer que la fusion nucléaire peut être utilisée comme source d'énergie à grande échelle, non émettrice de CO2, pour produire de l'électricité. Vieux de 20 ans, ce projet ambitieux est enfin officialisé le 21 novembre 2006 au Palais de l'Élysée. Le premier plasma n'est pas espéré avant 2033 (15 ans de retard), avec un coût triplé voire quadruplé.

Années 2010’s : le déploiement des EnR

.            En 2014, avec son 5ème rapport (depuis 1988), le GIEC alarmait plus que jamais sur le dérèglement climatique. Des politiques de transition énergétique sont décidées (plus ou moins concertées) dans l’ensemble des pays développés. En France, avec l’aide de subventions alimentées par des taxes supplémentaires sur le kWh traditionnel, les EnR (Energies renouvelables) se développent : photovoltaïque, éolien, … en plus des nouveaux « vecteurs énergétiques » et des économies d’énergie qui sont encouragés : voiture électrique, hydrogène, constructions BBC, … Mais le déploiement de ces nouvelles « ressources » énergétiques est lent, et de surcroit très marginal au niveau mondial, malgré les gigantesques investissements de la Chine ; ils sont loin de compenser ne serait-ce que la simple augmentation annuelle de la consommation mondiale d’énergie. Les volumes des fossiles continuent donc à augmenter, même si leur proportion dans le mix énergétique diminue.

Effet pervers, ces techniques nouvelles sont très consommatrices de métaux rares et de matières premières nobles, extraites dans des pays pauvres avec une main d’œuvre servile, et dont les processus industriels sont très polluants et objet d’un quasi-monopole chinois.

S’ajoute la mauvaise forme de la filière nucléaire française, pourtant la plus vertueuse écologiquement, dont les désinvestissements politique et idéologique, avec en conséquence la perte d’expérience et de main d’œuvre qualifiée et spécialisée, ont pénalisé pendant deux décennies le développement et la maintenance des installations et rendu problématique la construction des EPR nouvelle génération (Flamanville sera réalisée avec un retard de 12 ans et un surcoût de plus de 10 milliards €). La filière nucléaire française s’en sortira démantelée, et EDF fragilisée, ses revenus étant en outre pénalisés par la régulation ARENH qui l’oblige, entre autres, à vendre ses kWh nucléaires à un prix préférentiel inférieur au prix du marché, à ses concurrents sur le marché français.

24 février 2022 : la guerre d’Ukraine

            Après l’annexion de la Crimée en 2014, la Russie de Vladimir Poutine envahit le Donbass mais se heurte à une trop forte opposition pour le centre et l’ouest de l’Ukraine. Cette guerre et la flambée des prix de l’énergie et des matières premières en résultant, révèlent la grande dépendance des économies européennes au gaz et au pétrole russes. Les embargos obligent à aller à l’encontre des politiques volontaristes de transition énergétique : achat à tout va de gaz naturel liquéfié, en particulier au Qatar, de gaz de schiste américain, voire de pétrole vénézuélien ; réouverture de centrales au lignite en Allemagne ; prolongation des durées de vie de centrales nucléaires, …

.            Cette diminution (temporaire ?) de l’offre va très probablement conduire à modifier à terme le comportement des consommateurs. Elle pourrait aussi préfigurer, une fois l’offre redevenue « normale » ou sécurisée, une problématique analogue avec la demande croissante des milliards d’Africains et Indiens qui ne manquent pas d’aspirer au niveau de vie des pays développés.

Hasard ? Le 10 février 2022, le président Macron avait annoncé un plan de relance du nucléaire français avec la construction, dans une première phase, de 6 EPR2, et une ambition forte, « faire de la France en 30 ans le premier grand pays du monde à sortir de la dépendance aux énergies fossiles, et renforcer notre indépendance énergétique, industrielle, dans l'exemplarité climatique".

2025 : Anne Lauvergeon : « Un secret si bien gardé. »

L’ex-patronne (très contestée) d’Areva accuse EDF de sous-exploiter notre parc nucléaire : « Le prix de l’électricité a augmenté de 120% ces dix dernières années depuis 2015 ; c’est trois à quatre fois l’inflation. Le parc nucléaire d’EDF est à un taux d’utilisation de 67%, ce qui nous classe avant-dernier dans le monde en la matière, devant l’Afrique du Sud. Et ce n’est ni un problème européen, puisque la moyenne continentale d’utilisation du parc est de 85%, ni de durée de vie des centrales, puisque les réacteurs américains sont utilisés à 91% depuis 10 ans. Or, produire moins, c’est avoir une électricité plus chère !»

Notre programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est calquée sur un modèle périmé, au moins depuis les années 2000. En 2019, Emmanuel Macron annonce qu’il ferme 14 réacteurs dont Fessenheim puis annonce en 2022 qu’il faudra 14 réacteurs supplémentaires à l’avenir. Ça fait 28 réacteurs de différence ! Et la feuille de route est a priori préalablement déjà décidée : on garde le nucléaire à son niveau actuel, de 340 TWh et on multiplie par 4 le photovoltaïque, par 2 l’éolien terrestre et par 35 l’éolien offshore. Tout ça nécessite des investissements et des raccordements aux frais de la communauté. »

Du pétrole en Pennsylvanie !

            Le 27 août 1859, du pétrole jaillit pour la première fois du sous-sol des États-Unis. La découverte survient à point nommé, à un moment où les besoins d'éclairage n'arrivent plus à être satisfaits avec les bougies traditionnelles et les lampes à huile, en particulier de baleine.

Le « pétrole lampant » va révolutionner la vie quotidienne ! Oubliées les bougies sales, coûteuses et fumantes ; voici, en attendant la lampe à incandescence, un éclairage propre, de bonne luminosité et relativement économique.

Contre l'avis des experts...

            Le miracle se produit au nord-est du pays, en Pennsylvanie, au lieu-dit Oil Creek (le ruisseau d'huile !) près de Titusville. C'est aujourd'hui un parc national.

Son auteur est un bourlingueur du nom d'Edwin L.  Drake (39 ans). Il se fait abusivement appeler « colonel Drake ». Ayant pratiqué tous les métiers y compris celui de conducteur de train, il s'établit avec sa famille à Titusville.

Edmin Drake (à droite) devant le premier puits de pétrole, en 1859, à Titusville (Pennsylvanie)

Contre l'avis des experts, il a acquis la conviction qu'il pourrait extraire le pétrole du sous-sol par simple forage et s'est adjoint pour cela le concours d'un puisatier. Ensemble, ils ont creusé un puits grâce à un trépan suspendu à un câble et mis en mouvement par une machine à vapeur. Le précieux liquide a jailli lorsque le trépan a atteint 23 mètres de profondeur seulement.

Dès le premier jour, avec une production de l'ordre de huit ou dix barils (un baril = ~ 159 litres), Drake multiplie la production mondiale de pétrole par... deux !

Besoins d'éclairage

            Le pétrole (ou huile de pierre) était connu depuis la haute Antiquité comme une curiosité naturelle mais on n'en avait guère vu l'intérêt pratique jusqu'au milieu du XIXe siècle !

À cette époque, l'huile de baleine, utilisée pour les lampes à huile, voit son prix grimper du fait de la raréfaction des malheureux cétacés. À la recherche de nouvelles sources d'approvisionnement, un inventeur canadien, Abraham Gesner, met au point un procédé industriel pour extraire du charbon un combustible liquide, le gazogène. Des usines de transformation se montent un peu partout aux États-Unis, sans que cela suffise aux besoins.

Dans les années 1850, les industriels commencent à songer sérieusement au pétrole comme combustible de substitution pour l'éclairage... Reste à trouver du pétrole en quantité suffisante et à l'adapter aux besoins d'éclairage.

La ruée vers l'or noir

            Comme on peut s'y attendre, la découverte de Drake donne lieu à la première ruée vers l'or noir avec une particularité propre au droit américain : le sous-sol et tout ce qu'il renferme appartient au propriétaire de la surface.

Il s'ensuit que chaque propriétaire de parcelle se donne pour objectif prioritaire de pomper le sous-sol... du voisin. C'est ainsi que chacun érige des puits en bordure de son terrain en réservant à plus tard l'exploitation du centre que personne ne peut lui voler. D'où un gaspillage énorme de ressources et une multiplication à l'infini des puits de forage.

La région se couvre de derricks et procure la fortune à de nombreux audacieux. Quant au « colonel » Drake, dépourvu du sens des affaires, il néglige de faire breveter son système de forage et sombre dans la pauvreté. Compatissants, les habitants de Titusville finiront par verser une pension à lui-même et à sa veuve.

Les raffineurs ramassent la mise

            Mais la mélasse noire et malodorante qui émerge des puits n'est pas utilisable en l'état. Il faut la raffiner. Le raffinage, indispensable, a pour première vocation de produire du « pétrole lampant », autrement dit à l'usage des lampes à pétrole.

C'est ainsi que, très vite, la domination du secteur pétrolier va passer des exploitants de puits aux raffineurs ou, plus précisément, à un raffineur : John Davison Rockefeller, fondateur de la Standard Oil, un homme d'affaires rigoureux, rusé et sans état d'âme, caractéristique des grands entrepreneurs américains de la fin du XIXe siècle.

Le pétrole est devenu l'énergie vitale de nos sociétés. Mais aujourd'hui, c'est non plus dans l'éclairage mais dans les transports et la production d'énergie qu'il trouve ses principaux débouchés. Jusqu'à quand ?

Le pétrole fait l'objet d'une prospection toujours plus intense. On l'extrait des fonds sous-marins (offshore), jusqu'à plus de 7.000 mètres sous le niveau de la mer (3.500 mètres d'eau et autant de couches sédimentaires). On l'extrait déjà aussi des schistes bitumineux du Canada et des États-Unis, au prix de grands dégâts écologiques. C'est au point que les États-Unis sont redevenus massivement exportateurs d'hydrocarbures.

Au grand dam des experts qui prédisent l'épuisement du précieux fluide depuis les années 1950, le fameux peak oil (« pic pétrolier ») à partir duquel la production mondiale doit décliner est repoussé de décennie en décennie. Le ratio « réserves prouvées mondiales / consommation mondiale annuelle » est passé de 35 (50 pour le gaz naturel) durant les années 1970 à plus de 45 (60 pour le gaz naturel) dans les années 2020 !

Sous l'effet de la surproduction et de la baisse relative de la fiscalité, le prix du pétrole brut est passé de ~25 $/baril en moyenne dans les années 1980-90 à ~ 75 $/baril dans les années 2010-20, ce qui, contre toute attente est une baisse en monnaie constante. Ce qui n'est pas sans conséquence sur la consommation et donc le réchauffement climatique.

Sources : https://www.planete-energies.com/fr/medias/sagas-des-energies/l-histoire-de-l-energie-en-france. – 20 avr 2015 / Herodote.net – André Larané – 06 mar 2023 / Camille Vignolle - 25 août 2022